Ce que les milliardaires paient vraiment en impôts en France

Les discussions autour de la fiscalité sont souvent présentées comme un débat technique, réservé aux experts et aux techniciens des finances publiques. Pourtant, dès qu’il s’agit des très grandes fortunes, les questions deviennent beaucoup plus concrètes : est-ce que les milliardaires paient réellement leur part d’impôts, ou le système français leur offre-t-il une échappatoire parfaitement légale ? Les particuliers français entendent souvent tout et son contraire. Certains affirment que les riches sont matraqués, d’autres qu’ils passent entre les gouttes. La réalité, chiffres à l’appui, est autrement plus dérangeante.
Grâce à des données administratives rarement mises à disposition des chercheurs (voir à la fin de l’article), il est possible d’évaluer avec précision comment les ultra-riches structurent leurs revenus et comment l’impôt les touche – ou plutôt comment il les effleure. Et autant dire que le résultat tranche avec le discours officiel sur un impôt progressif et équitable.

Attention à un biais important: on parle ici ou pour la taxe Zucman de l’impôt des ultra-riches, donc de ceux qui ont + de 100 millions de patrimoine. Ceci ne concerne pas les riches ou très riches. Les études montrent que l’impôt décroit pour les ultra-riches, catégorie bien à part (1800 personnes en France).

Comment définir le revenu des plus riches

Pour comprendre la fiscalité réelle des milliardaires, il faut d’abord s’intéresser à ce qu’on appelle “le revenu”. Contrairement au salarié qui reçoit un virement et une fiche de paie, les grandes fortunes n’ont pas de revenu simple à mesurer : leur richesse circule à travers holdings, filiales, sociétés écrans ou participations minoritaires.
Le revenu fiscal de référence, celui que tout contribuable connaît, ne raconte donc qu’une petite partie de l’histoire. En 2016, les revenus fiscaux déclarés représentaient environ 1 000 milliards d’euros, alors que les revenus économiques réels (salaires, dividendes, bénéfices, cotisations, profits non distribués…) approchaient plutôt les 1 600 milliards.
Autrement dit, une large tranche de richesse n’entre même pas dans l’assiette classique de l’impôt sur le revenu. Pour apprécier la capacité contributive réelle des ménages les plus aisés, il faut donc intégrer ce que leurs sociétés génèrent mais qu’ils choisissent de ne pas se verser.

Comment les profits non distribués échappent à l’impôt sur le revenu

Les foyers fiscaux situés tout en haut de l’échelle contrôlent beaucoup plus souvent des sociétés, et surtout, ils laissent ces sociétés conserver leurs bénéfices. Cela change tout.
Dans un foyer modeste, un revenu est perçu, déclaré et taxé. Pour un milliardaire, une grande partie des revenus reste dans ses sociétés : ce sont des bénéfices non distribués, soumis uniquement à l’impôt sur les sociétés (IS), nettement plus faible que le taux maximal de l’impôt sur le revenu.
En 2016, cet IS était de 33,33 %. Le taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu, lui, dépassait 50 % une fois intégrés CSG et CRDS. Pour un particulier, cette différence ne change pas grand-chose. Pour un milliardaire qui peut décider à tout moment de ne pas distribuer un centime, c’est un levier qui modifie entièrement son fardeau fiscal.
C’est ainsi qu’un ménage du top 0,1 % se retrouve avec près de la moitié de ses revenus logés dans des sociétés, et qu’un ménage du top 0,0002 % – autrement dit un milliardaire typique – voit parfois plus de 90 % de ses revenus passer par ce canal beaucoup plus avantageux.

Pourquoi la fiscalité devient régressive chez les ultra-riches

En théorie, la fiscalité française est progressive : plus on gagne, plus le taux moyen augmente. C’est vrai jusqu’à un certain point.
Jusqu’à environ 600 000 euros de revenu économique annuel, le système reste globalement cohérent : les impôts personnels (IR, prélèvements sociaux, ISF, CEHR) montent progressivement. Mais au-delà, la mécanique se dérègle.
Plus on monte dans la pyramide des revenus, plus la part provenant des sociétés augmente… et moins l’impôt personnel pèse. Au sommet, l’impôt sur le revenu tombe à environ 2 % du revenu économique global. Pour un salarié, cette proportion serait inimaginable.
Quand on additionne tous les prélèvements directs, les ménages du top 0,1 % affichent un taux global d’environ 46 %. Mais pour les 0,0002 % les plus riches, ce taux chute à 26 %.
Autrement dit, plus on est riche, moins on est imposé en proportion de ses revenus. Pas parce que ces ménages frauderaient, mais parce que le système lui-même organise ce basculement.

Le rôle déterminant de l’impôt sur les sociétés

Les revenus que les ultra-riches laissent dans leurs sociétés ne sont pas invisibles fiscalement : ils supportent l’impôt sur les sociétés. Mais ce seul impôt n’équivaut pas à une véritable progressivité.
Pour le top 1 %, l’IS est marginal dans leur fiscalité globale. En revanche, pour les 0,01 % les plus riches, il devient largement dominant, car l’essentiel de leur revenu est constitué de profits non distribués.
Le problème est que basculer de l’impôt sur le revenu vers l’impôt sur les sociétés revient mécaniquement à réduire son taux effectif. Le taux facial de l’IS était déjà plus bas que l’impôt sur le revenu en 2016, et il est encore plus faible depuis.
Dans les groupes disposant de filiales à l’étranger, la situation est encore plus avantageuse : les profits localisés en Irlande, aux Pays-Bas ou au Luxembourg sont imposés selon les règles locales, souvent bien plus favorables que les règles françaises.
De fait, concentrer presque tous ses revenus dans ses entreprises revient à s’accorder un taux préférentiel.

Certains prétendent que l’argent qui reste dans les sociétés profite à l’économie mais c’est une erreur pour les ultra-riches. L’argent qui est dans leur « holding » ou société dont ils ne sont que les actionnaires, n’a d’autre but que de « garder » l’argent.

Imaginons un ultra-riche qui reçoit 500 millions de ses actions dans une autre sociétés. Ce n’est pas lui personnellement qui reçoit 500 millions mais sa société où il est seul actionnaire par exemple. Cette société va avoir un peu de frais (avocat, comptable, etc..), disons 5 millions au maximum. Et l’ultra-riche, en tant que personne va prendre, mettons 30 millions de dividendes pour sa vie « personnelles ». Il va payer des impôts sur le revenu sur ces 30 millions mais la différence, qui reste dans la société, à savoir 500 – 5 – 30 = 465 millions est soumise à l’impôt sur les sociétés, inférieur à l’impôt sur le revenu.. Et ceci d’autant plus que l’impôt sur le revenu de la personne concerne des dividendes et non des salaires..

La question des plus-values futures : une réponse très limitée

Certains pourraient penser que les profits non distribués finiront par être taxés sous forme de plus-value lors d’une vente de parts ou d’une succession. Mais cette vision est largement illusoire.
Dès qu’une transmission est organisée en amont, notamment via un pacte Dutreil, l’assiette taxable est réduite de 75 %, puis les droits baissent à 50 % supplémentaires si la transmission intervient avant 70 ans. Résultat : le taux effectif sur un patrimoine transmis peut tomber autour de 5,6 %.
Pire encore, la donation éteint les plus-values latentes. Le bénéficiaire peut ensuite liquider les parts sans supporter le moindre impôt sur ces plus-values.
Ce mécanisme renforce encore l’écart entre la fiscalité théorique et la fiscalité réelle des ultra-riches.

Un système qui organise sa propre régressivité

Quand on compare ce que les milliardaires paieraient si tout leur revenu économique était traité comme un revenu classique, l’écart est spectaculaire.
Leur taux d’imposition global passerait d’environ 26 % à près de 59 %.
Cet écart ne provient pas d’un vide juridique ou d’une astuce discrète, mais d’un empilement de règles, de plafonds, d’abattements, de décisions constitutionnelles et de directives européennes créant un système où l’impôt devient moins lourd à mesure que la fortune se concentre.
Pour les particuliers français, ce constat contredit frontalement l’idée d’un système équitable ou strictement progressif. Dans les faits, une partie minuscule de la population bénéficie d’un traitement fiscal plus doux que la plupart des classes moyennes et supérieures salariées.

En résumé, les données analysées montrent une réalité que peu de responsables publics souhaitent reconnaître : une fois intégrés les revenus réellement contrôlés par les ultra-riches, la fiscalité française n’est pas simplement imparfaite, elle devient régressive au sommet.
Les ménages du top 0,0002 %, souvent propriétaires de groupes industriels, de holdings ou de multinationales, concentrent des revenus considérables dans leurs entreprises et échappent ainsi au barème progressif qui s’applique au reste des contribuables.
Pour que le débat fiscal soit réellement éclairé, il faut enfin intégrer ces revenus non distribués et comprendre comment les règles actuelles permettent ce décalage massif entre revenu réel et revenu imposé.

Si vous avez des questions sur ces mécanismes ou si vous souhaitez partager votre expérience face à l’administration fiscale, intervenez en commentaire.

En attendant, voici une étude de l’Institut des Politiques Publiques à ce sujet.

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