Le RGPD contre les banques : la revanche des clients

Le règlement général sur la protection des données (RGPD), entré en vigueur en 2018, devait encadrer les pratiques des géants du numérique. Pourtant, c’est aujourd’hui le secteur bancaire – l’un des plus puissants et les plus protégés de France – qui se retrouve dans la ligne de mire du droit européen. Derrière la promesse de conformité affichée par les établissements financiers se cache un risque colossal pour eux et un atout majeur pour les clients en difficulté : celui de voir leurs contrats de prêt, leurs preuves et même leurs créances devenir juridiquement inexploitables. Pour la première fois, les clients disposent d’un texte capable d’inverser le rapport de force.

Comment la CNIL a permis aux banques de contourner les règles

Pendant des années, les banques ont collecté et traité les données personnelles de leurs clients sans réel contrôle, notamment pour évaluer le risque de défaut avant d’accorder un crédit. Ces pratiques s’appuient sur les normes internationales issues de l’Accord de Bâle II, en vigueur depuis 2007, qui imposent une analyse fine du profil de chaque emprunteur. Revenus, dépenses, antécédents bancaires, comportements d’achat : tout est passé au crible pour établir un score de solvabilité.

Or, ce type de traitement entre pleinement dans le champ du RGPD. Les banques doivent informer leurs clients de la finalité exacte du traitement, de sa durée et de ses destinataires, et s’assurer que la base légale est valable. Jusqu’en 2018, elles devaient en outre déclarer ces pratiques à la CNIL. Cette obligation a disparu, mais pas celle de transparence.

En décembre 2023, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rappelé qu’attribuer une note de solvabilité à une personne sur la base de ses données personnelles constitue bien un traitement soumis au RGPD. Autrement dit, toute décision de crédit automatisée sans information complète du client est susceptible d’être illégale.

Problème : la CNIL, au lieu de faire respecter la règle, a longtemps fermé les yeux. Les contrôles ont été rares, les manquements fréquents. En privilégiant la stabilité du système bancaire plutôt que le respect du droit européen, l’autorité a contribué à créer une zone grise dont les banques ont largement profité.

Quand le RGPD se retourne contre les banques

L’ironie est totale : le texte que les banques ont négligé pendant des années devient aujourd’hui leur plus grande menace. En vertu de la primauté du droit européen, le RGPD s’impose aux lois nationales. Un emprunteur peut donc s’en servir pour contester la légalité du traitement de ses données, l’authenticité des preuves produites en justice, voire la validité du contrat lui-même.

Prenons un cas concret : un client cesse de rembourser son prêt. La banque saisit le tribunal pour obtenir le paiement du capital restant dû. Si l’emprunteur démontre que les données utilisées pour évaluer son risque de crédit ou calculer la créance ont été traitées sans base légale conforme au RGPD, le juge peut déclarer la demande irrecevable. En clair, la banque perd son droit de recouvrement.

Mais la véritable bombe juridique concerne la cession de créance – un mécanisme pourtant central pour la santé financière des banques. Lorsqu’un emprunteur ne rembourse plus, l’établissement revend généralement la créance à un tiers (fonds de recouvrement, société de titrisation, etc.) pour alléger son bilan. Or, cette opération suppose de transmettre au cessionnaire tout le dossier du débiteur : nom, coordonnées, historique de paiement, montants dus, et souvent des justificatifs personnels.

Toutes ces informations sont des données personnelles protégées. Leur transfert à un tiers n’est possible que s’il repose sur une base juridique solide. Le problème ? Le consentement du client n’existe jamais dans ce contexte, et la finalité du contrat initial (le prêt) ne couvre pas la revente de la dette. La banque se retrouve donc dans une impasse : céder la créance, c’est risquer une violation du RGPD. Ne pas la céder, c’est garder des dettes irrécouvrables dans ses comptes.

C’est ainsi par exemple que vous pouvez contester et gagner sans problème contre les vautours comme Hoist Finance ou autres qui rachètent les créances des banques quand celles-ci les enlèvent de leur bilan (sans parler de la forclusion, qui est elle aussi une arme fatale aux harcèlements d’Hoit Finance et ses semblables). Voir également Comment arrêter le harcèlement d’une société ou d’un organisme qui vous réclame de payer une facture non due.

Cette situation paralyse un pan entier du système financier. Sans cession possible, les portefeuilles de prêts en souffrance gonflent, pesant sur les ratios prudentiels et la capacité des banques à prêter à nouveau. En théorie, même les contrats de titrisation ou les ventes de portefeuilles à des fonds spécialisés pourraient être remis en cause.

Le RGPD comme arme juridique des clients

Ce basculement donne aux particuliers un levier inédit face à leur banque. Un emprunteur peut désormais contester une procédure de recouvrement en invoquant le non-respect du RGPD : absence d’information, traitement illicite, transfert illégal de données à un tiers. Et il ne s’agit plus d’un argument symbolique. Plusieurs décisions européennes ont déjà consacré la possibilité d’écarter des preuves obtenues en violation du droit à la protection des données.

Concrètement, cela signifie qu’un décompte de créance ou un historique de paiement fondé sur un traitement non conforme peut être jugé irrecevable. Le juge n’a alors plus de base légale pour trancher en faveur de la banque. Dans certains cas, la dette devient tout simplement inattaquable.

Ce rapport de force nouveau effraie les établissements financiers. Le RGPD n’est plus seulement une question de conformité interne ou de risque d’amende administrative : il devient une arme judiciaire entre les mains des clients, capable de neutraliser des créances entières.

Pourquoi la CNIL ne peut plus se défausser

La CNIL porte une lourde responsabilité dans cette situation. En privilégiant une doctrine permissive, elle a laissé les banques opérer dans une quasi-immunité pendant des années. Ce n’est qu’en 2024 qu’elle a reconnu la nécessité de revoir ses pratiques, en créant un « club de conformité » censé aider le secteur à corriger ses dérives.

Mais ce chantier arrive trop tard. Le mal est fait : des millions de contrats ont été conclus sans information claire, des milliers de créances ont été cédées sans base juridique solide. Et les tribunaux, désormais, appliquent strictement le droit européen.

Pour éviter un effondrement, la CNIL devra réviser en profondeur sa lecture du RGPD, y associer les associations de consommateurs et restaurer la confiance dans un système qui s’est longtemps autorégulé.

Un équilibre à reconstruire entre protection des données et stabilité financière

L’enjeu dépasse la simple conformité administrative. Si les tribunaux invalident massivement les preuves issues de traitements non conformes ou les cessions de créances contraires au RGPD, les pertes pour les banques pourraient atteindre plusieurs milliards d’euros.
Mais du point de vue des consommateurs, cette évolution rétablit une forme de justice : les établissements financiers, qui exigeaient transparence et rigueur de leurs clients, doivent désormais appliquer les mêmes principes à eux-mêmes.

Ce nouvel équilibre, imposé par le droit européen, remet la banque à sa place : celle d’un acteur économique soumis aux mêmes obligations que les autres. Les clients, longtemps impuissants face aux géants bancaires, disposent enfin d’un contre-pouvoir juridique tangible.

Vers une clarification politique urgente

Le RGPD n’a pas vocation à déstabiliser le système bancaire, mais à garantir le respect des droits fondamentaux. C’est désormais aux autorités françaises de tirer les conséquences de ce tournant. Les parlementaires doivent clarifier les conditions dans lesquelles les données personnelles peuvent être utilisées lors d’une cession de créance ou d’un recouvrement, sous peine de voir la justice bloquer une part croissante des contentieux bancaires.

Pendant des décennies, les banques ont opéré sous la protection bienveillante des régulateurs. Le RGPD change la donne. En rappelant que les données personnelles appartiennent aux individus, il redonne du pouvoir aux clients face à des institutions trop longtemps dominantes.

Ce texte, conçu pour protéger la vie privée, devient ainsi un instrument de rééquilibrage des rapports économiques. Derrière l’apparente technicité du RGPD se cache une révolution silencieuse : le citoyen reprend la main sur ses données, et le géant bancaire, cette fois, doit rendre des comptes.

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