La dette publique explose. Et les marchés commencent sérieusement à douter. Alors que les États occidentaux multiplient les emprunts pour boucler leurs budgets déficitaires, les investisseurs lèvent le pied. Résultat ? Les taux d’intérêt s’envolent. Et ce n’est que le début.
Une avalanche de dette publique qui ne ralentit plus
Aux États-Unis, la trajectoire est vertigineuse : la dette fédérale devrait grimper de 2 400 milliards de dollars dans les dix prochaines années. À ce rythme, d’ici trois ans, elle dépassera le sommet atteint à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. La France n’est pas en reste : avec un ratio dette/PIB à 116 %, on est déjà sur un niveau historique hors temps de guerre. Quant au Japon, il creuse un sillon unique au monde avec une dette équivalente à 237 % de son PIB.
Ce ne sont pas des exceptions. En 2024, les 38 pays de l’OCDE ont émis à eux seuls 15 700 milliards de dollars de dette publique, soit trois fois plus qu’en 2007. On parle ici d’un record absolu. Et les déficits publics sont devenus structurels : 5 %, 6 %, parfois même 7 % du PIB dans les pays les plus riches. Le plus inquiétant ? Cette frénésie continue même lorsque la croissance revient et que le chômage est faible. Autrement dit, même en période « favorable », les États n’arrivent plus à réduire leurs déficits.
Des investisseurs de plus en plus méfiants
Face à ce raz-de-marée d’obligations, les grands investisseurs institutionnels — fonds de pension, assureurs-vie, sociétés de gestion — deviennent sélectifs. Lors des dernières émissions de dette au Japon et aux États-Unis, l’appétit était tiède. Les États ont certes trouvé preneurs, mais pas dans les conditions habituelles. Même tendance observée en Australie et en Corée du Sud.
Ce désengagement provoque une montée en flèche des taux d’intérêt à long terme. Les taux américains à 30 ans flirtent avec les 5 %, un niveau inédit depuis 2007. Le Japon, habitué aux taux quasi nuls, a vu ses obligations de même maturité atteindre 3 %. Le Royaume-Uni a brièvement dépassé 5,5 %, et la France dépasse désormais 4 % à 30 ans — un record depuis 2012. Même les emprunts allemands, considérés comme ultra-sûrs, subissent cette tension.
Les investisseurs n’ont pas disparu, mais ils veulent être mieux rémunérés pour les risques qu’ils prennent. Et ils ont des alternatives.
Pourquoi les taux d’intérêt vont rester élevés (et pour longtemps)
Il y a deux raisons à cette hausse des taux : une offre excessive de dette et une demande devenue sélective.
D’un côté, les gouvernements continuent d’émettre massivement. De l’autre, les grands acheteurs historiques — banques centrales, fonds de pension, compagnies d’assurance — se désengagent progressivement. Et pour cause.
Depuis 2008, les banques centrales ont racheté à la pelle de la dette publique, histoire de faire baisser artificiellement les taux et éviter la déflation. Cette politique dite de « quantitative easing » a pris fin brutalement avec le retour de l’inflation post-Covid et le choc énergétique de 2022. Aujourd’hui, elles ont cessé leurs achats, voire commencent à revendre leurs portefeuilles.
En parallèle, les banques centrales ont remonté leurs taux directeurs. La Banque centrale européenne (BCE) est passée de -0,5 % en 2022 à 4 % en 2024, avant de redescendre prudemment à 2 % en juin 2025. La Réserve fédérale américaine (Fed) est montée jusqu’à 5,25 % avant de corriger légèrement à 4,25 %. Ces hausses changent la donne pour les investisseurs : pourquoi acheter de la dette à 30 ou 40 ans, risquée et volatile, quand on peut obtenir des rendements corrects sur des titres à 6 mois ou 2 ans ?
La situation se résume parfaitement ainsi: « Il y a une perte d’appétit sur la partie longue de la dette ».
La charge de la dette devient insoutenable
Ce nouvel environnement a un effet immédiat : le coût du service de la dette explose.
Dans les pays de l’OCDE, la charge des intérêts représentait en moyenne 2,7 % du PIB entre 2015 et 2019. Elle est passée à 3 % en 2023, puis à 3,3 % en 2024. Ce n’est pas une simple ligne budgétaire : c’est 4 à 5 fois ce que les États consacrent à la culture, au logement ou à l’environnement. C’est 1,5 fois les budgets de la défense et de la justice réunis. Une ponction croissante, qui pèse d’autant plus qu’elle est incompressible.
Risque systémique : vers un krach obligataire ?
Les signaux faibles s’accumulent. Le PDG de JP Morgan, évoque ouvertement la possibilité d’un krach obligataire américain. Il ne sait pas si cela arrivera dans 6 mois ou dans 6 ans, mais il considère ce scénario comme inévitable.
Du côté européen, on tire aussi la sonnette d’alarme : « Les États-Unis sont dans l’irresponsabilité budgétaire. Il n’y a plus aucun garde-fou. » Le déficit américain devrait grimper à 7 %, tandis que la France prévoit un déficit de 5,4 % en 2025. Autrement dit, nous sommes à la merci des marchés.
Et ces derniers deviennent stratégiques. L’inquiétude grandit face aux coups de menton de Donald Trump, qui conteste l’indépendance de la Fed. Résultat : les capitaux se réorientent partiellement vers l’Europe et le Japon. Les investisseurs exigent des rendements plus élevés pour continuer à financer le Trésor américain.
Ce que cela signifie pour vous, contribuable et épargnant
Il faut bien comprendre une chose : la hausse des taux, ce n’est pas un jeu abstrait de financiers. Cela a un impact direct sur vos impôts, sur vos placements, et sur le budget de l’État.
- Le financement des retraites, de la santé ou des services publics est menacé à long terme par la hausse de la charge de la dette.
- Les emprunts immobiliers restent sous tension, car les taux longs servent de base aux crédits à taux fixe.
- Les placements en assurance-vie vont être forcés de se repositionner, avec un arbitrage entre court terme mieux rémunéré et long terme plus risqué.
Quant aux hausses d’impôts futures ? Elles deviendront inévitables si les États refusent de baisser la dépense publique.
Conclusion : une dette durablement toxique
Le cocktail est explosif : émission massive de dette, retrait progressif des acheteurs historiques, hausse des taux, ralentissement de la croissance et instabilité géopolitique. C’est l’environnement idéal pour une crise obligataire de grande ampleur.
Mais cette fois, ce ne seront pas les banques qu’on devra sauver, ce seront les États eux-mêmes.