Une petite tempête politique et financière est en train de secouer la France autour d’un sujet que beaucoup croyaient anodin : le découvert bancaire. En apparence technique, la réforme qui entrera en vigueur en novembre 2026 bouleverse pourtant le quotidien de millions de Français. Derrière elle, une directive européenne adoptée en 2023, transposée discrètement dans le droit français en 2025, et qui rebat les cartes du crédit à la consommation. Voir aussi et en rapport avec le sujet: Crédit à la consommation : les nouvelles règles pour les mini-crédits et les paiements fractionnés en 2025
D’où vient cette nouvelle réglementation sur le découvert ?
Tout part d’un texte européen : la directive (UE) 2023/222 sur le crédit à la consommation. Adoptée par le Parlement européen en septembre 2023, elle vise à mieux encadrer les prêts aux particuliers — des crédits classiques jusqu’aux microcrédits et paiements fractionnés. L’objectif affiché : protéger les consommateurs contre le surendettement, en renforçant les obligations d’information et de vérification de solvabilité avant l’octroi d’un crédit.
Or, le découvert bancaire, même de courte durée, est juridiquement un crédit. À ce titre, il tombe désormais sous le même régime que les autres prêts à la consommation. Concrètement, cela signifie qu’à partir du 20 novembre 2026, les banques devront obtenir l’autorisation explicite du client avant d’accorder ou de renouveler un découvert, même pour de petites sommes.
Cette évolution résulte d’une ordonnance publiée au Journal officiel le 4 septembre 2025, prise sur le fondement de la loi d’adaptation au droit européen (loi « Ddadue » du 30 avril 2025). C’est donc une application directe d’une directive européenne, et non une décision purement nationale.
Ce que la réforme change concrètement pour les clients
Aujourd’hui, de nombreux comptes courants disposent d’un découvert autorisé sans formalité particulière. Beaucoup de Français — environ 15 % selon le baromètre Ipsos/Secours populaire — y ont recours régulièrement, souvent pour passer la fin du mois. Cette proportion grimpe à 29 % parmi les foyers dont le revenu mensuel net est inférieur à 1 400 €.
Avec la nouvelle réglementation, le découvert ne sera plus automatique. Pour qu’une banque puisse le proposer, elle devra évaluer la solvabilité du client comme pour tout autre crédit. Cela implique l’examen des revenus, charges et antécédents de paiement.
Autrement dit, un client ne pourra plus être à découvert sans avoir obtenu, au préalable, une autorisation formelle. Chaque dépassement non prévu sera assimilé à un crédit non autorisé, soumis à des conditions plus strictes. Les établissements devront aussi informer clairement les clients du coût total du découvert, des intérêts et des frais associés.
Le gouvernement assure toutefois que les petits découverts, inférieurs à 200 euros et remboursés en moins d’un mois, ne seront pas concernés par cette procédure. Pour ces montants, les conditions actuelles continueront de s’appliquer, afin d’éviter une surcharge administrative disproportionnée.
Une mesure qui divise la classe politique
Dès la fin octobre 2025, la polémique a explosé. À gauche, Jean-Luc Mélenchon a dénoncé sur les réseaux sociaux « une privation imposée par l’Europe » et « un flicage des plus pauvres ». Il estime qu’il sera bientôt « interdit d’être à découvert », une situation qui toucherait en priorité les ménages modestes. La France insoumise a même annoncé le dépôt d’une proposition de loi pour abroger le texte.
À droite, le ton n’est guère plus apaisé. Xavier Bertrand a parlé de « scandale », tandis que le maire de Béziers, Robert Ménard, a dénoncé « une dérive technocratique de l’Union européenne ». Pour lui, cette réforme « infantilise les citoyens » et ne tient pas compte de la réalité des foyers contraints de jongler entre factures et imprévus.
Le Rassemblement national a également rejoint la fronde, accusant le gouvernement de « compliquer la vie financière de millions de familles ». En revanche, du côté du ministère de l’Économie, on rappelle que la France n’avait guère le choix, la directive européenne imposant la transposition de ces règles avant le 25 novembre 2025 sous peine de sanctions de la Cour de justice de l’Union européenne.
Les banques, entre adaptation et inquiétude
Les établissements bancaires, eux aussi, redoutent une complexité accrue. La Fédération bancaire française (FBF) souligne que la réforme pourrait avoir « un impact limité » pour les clients, mais un coût administratif non négligeable pour les conseillers.
Son président, Daniel Baal (également à la tête du Crédit Mutuel et du CIC), dénonce « un texte inadapté et disproportionné, qui compliquera la vie de nombreux ménages et de nombreux conseillers bancaires ». Selon lui, la réglementation vient « d’en haut, de la Commission européenne à Bruxelles », sans concertation suffisante avec les acteurs de terrain.
La FBF précise toutefois qu’un découvert autorisé existant restera valable, sans qu’il soit nécessaire de renouveler systématiquement l’autorisation. Les clients n’auront donc pas à signer un contrat à chaque utilisation de leur découvert, dès lors que l’accord initial aura été établi selon les nouvelles règles.
Mais avant d’accorder un nouveau découvert, les banques devront impérativement vérifier la solvabilité du demandeur. Cette étape pourrait allonger les délais de traitement et rendre plus difficile l’accès au crédit pour les foyers à faibles revenus ou aux situations financières instables.
Pourquoi cette réforme a été votée par presque tout le monde à Bruxelles
L’un des paradoxes de cette controverse est que presque tous les eurodéputés français ont voté en faveur du texte européen en 2023. De la droite aux écologistes, en passant par les socialistes, les macronistes et les insoumis, la directive avait été adoptée à une large majorité. Seul Jordan Bardella avait d’abord voté contre, avant de corriger son vote en faveur du texte.
À l’époque, personne n’avait perçu la portée concrète de la mesure sur les découverts bancaires. Le texte était présenté comme une avancée pour « une meilleure protection des consommateurs » et une plus grande transparence des conditions de crédit. Ce n’est qu’au moment de sa transposition en France, deux ans plus tard, que ses implications réelles ont émergé.
Ce qu’il faut retenir
Cette réforme ne signifie pas la disparition du découvert bancaire, mais la fin du découvert automatique. Les banques devront désormais évaluer chaque situation, formaliser les autorisations et informer les clients du coût réel du service.
Pour les ménages modestes, cette mesure risque de compliquer la gestion du budget mensuel. Les associations de consommateurs redoutent une hausse du nombre de rejets de prélèvements et de frais d’incidents. D’autres y voient au contraire une opportunité pour réduire le surendettement et responsabiliser les clients sur l’usage du découvert.
Le gouvernement, lui, mise sur une « meilleure transparence » et promet que l’État restera vigilant quant à l’impact de la mesure sur les ménages fragiles.
Ce durcissement du régime des découverts bancaires s’inscrit dans un mouvement plus large d’harmonisation européenne du crédit à la consommation. Il ne s’agit pas d’interdire les découverts, mais d’en encadrer l’usage comme un véritable crédit, avec les garanties et les vérifications que cela implique.
Reste à savoir si, d’ici à novembre 2026, les banques sauront adapter leurs pratiques sans pénaliser les clients les plus vulnérables.
Ce que vous devrez faire à partir de 2026 pour garder votre découvert
Voici les étapes concrètes à suivre pour continuer à bénéficier d’un découvert autorisé :
- Vérifiez votre convention de compte. Si votre contrat inclut déjà un découvert autorisé, il restera valable. Toutefois, votre banque pourra vous demander de signer un avenant conforme à la nouvelle réglementation.
- Fournissez vos justificatifs de revenus. Avant tout nouvel accord ou révision de plafond, la banque devra évaluer votre capacité de remboursement. Préparez bulletins de salaire, avis d’imposition ou bilans comptables si vous êtes indépendant.
- Négociez le taux et les conditions. Les établissements devront désormais détailler par écrit le taux débiteur, les frais d’intervention et les pénalités en cas de dépassement. Comparez entre banques avant de valider.
- Anticipez vos dépenses. Un découvert non autorisé sera traité comme un crédit irrégulier, souvent facturé à un taux supérieur à 20 %. Mieux vaut ajuster votre budget à l’avance ou opter pour un microcrédit temporaire.
- Surveillez les délais. Certaines banques exigeront un préavis de plusieurs jours pour activer un nouveau découvert. N’attendez pas le dernier moment pour faire votre demande.
Et vous, avez-vous souvent recours à votre découvert bancaire ? Pensez-vous que cette réforme va protéger les consommateurs ou, au contraire, les fragiliser davantage ? Partagez votre avis ou vos expériences dans les commentaires.
