Agences de notation financière : comment elles fonctionnent, qui les contrôle, et pourquoi leur pouvoir dérange

Évaluer la capacité d’un État ou d’une entreprise à rembourser sa dette : voilà la mission principale des agences de notation. Derrière ce rôle en apparence technique se cache un levier d’influence massif sur les marchés financiers… et une série de conflits d’intérêts soigneusement encadrés depuis la crise de 2008.

Leur rôle : évaluer le risque de défaut d’une entité

Une agence de notation est une entreprise privée chargée de mesurer la solvabilité d’un emprunteur, qu’il s’agisse d’un État, d’une collectivité locale ou d’une société privée. Concrètement, elle analyse la probabilité qu’une dette soit remboursée à temps et dans les conditions prévues. Ce travail intéresse surtout les investisseurs institutionnels qui veulent savoir s’ils peuvent prêter leur argent en toute sécurité.

Pour établir cette note, les analystes financiers construisent plusieurs scénarios en s’appuyant sur les flux financiers entrants et sortants de l’entité examinée. Ils utilisent les documents fournis par l’entité elle-même, mais aussi des données issues d’organismes publics comme Eurostat ou l’Insee.

Les agences ne se contentent pas d’indicateurs économiques secs : elles prennent aussi en compte des facteurs macroéconomiques et sociaux. Ainsi, Fitch, dans une note publiée en avril 2023, a explicitement mentionné les tensions sociales liées à la réforme des retraites comme un élément susceptible de peser sur la stabilité financière de la France.

À l’issue de l’analyse, une notation est attribuée sous forme d’un code composé de lettres, allant de AAA (risque quasi nul de défaut) à D (faillite). Moody’s utilise une échelle légèrement différente et s’arrête à la note C.

Qui sont les géants du secteur ?

Trois entreprises américaines dominent outrageusement ce marché mondial : Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch. En 2024, elles contrôlaient à elles seules 90 % du marché européen, malgré les appels répétés de l’Autorité européenne des marchés financiers à recourir aux agences accréditées plus petites (elles sont 17 en Europe).

Les acheteurs publics français – ministères, régions, grandes villes – continuent d’ignorer cette recommandation, préférant payer l’une des trois grandes agences. Aucun acteur public majeur français n’a confié sa notation à un acteur alternatif depuis 2017.

Fitch a été française, ou presque, jusqu’en 2018. Elle appartenait à la holding Fimalac du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière, avant d’être vendue à l’américain Hearst Corporation. Quant à ses concurrents, Standard & Poor’s appartient au groupe S&P Global, et Moody’s Corporation est partiellement détenue par Warren Buffett via Berkshire Hathaway.

Les deux sociétés cotées publient leurs résultats financiers : malgré une baisse du nombre de notations produites, elles ont plus que doublé leur chiffre d’affaires en dix ans. C’est dire si leur modèle reste très rentable.

Dégradation de note : des conséquences immédiates

Une baisse de note n’est jamais anodine. Lorsqu’une agence révise à la baisse la notation d’un État ou d’une entreprise, cela entraîne presque automatiquement une hausse du coût de l’endettement pour l’entité concernée.

Sur les marchés financiers, où les repères objectifs sont rares, ces notes jouent un rôle central dans la gestion de portefeuille. Elles déterminent qui peut acheter quoi, et en quelle quantité. En 2012, un cadre de BNP Paribas révélait au Sénat que les investisseurs institutionnels appliquent des règles très strictes : libre accès aux produits notés AAA, plafonnement à 5 % pour les A simples, interdiction d’investir dans tout ce qui est en dessous.

Une mauvaise notation peut donc priver une entité d’accès aux financements ou faire exploser les taux d’intérêt exigés par les créanciers. L’exemple des subprimes en 2009 est resté dans toutes les mémoires : les agences avaient attribué des notes trop optimistes à des produits risqués, provoquant leur effondrement et la faillite de plusieurs fonds.

La crise des dettes souveraines en Europe (2010-2012) en est un autre exemple. À l’époque, plusieurs pays du sud de l’Europe avaient vu leur note s’effondrer. Résultat : hausse des taux, difficulté à emprunter, coupes budgétaires. Le gouverneur de la Banque de France Christian Noyer dénonçait en 2012 l’effet « autoréalisateur » de ces notations : elles provoquent ce qu’elles prétendent mesurer.

Combien ça coûte d’être noté ?

Avant les années 1970, ce sont les utilisateurs des notes (banques, assureurs, investisseurs) qui rémunéraient les agences. Aujourd’hui, ce sont les notés eux-mêmes qui paient. Ce changement de modèle a radicalement transformé les incitations économiques.

La plupart des notations sont désormais payantes. Seules les évaluations des États les plus importants (États-Unis, Allemagne, France) sont parfois réalisées gratuitement, car elles servent de référence mondiale. On parle alors de notations « non sollicitées ».

Pour les autres, le tarif grimpe vite. Les collectivités locales (régions, départements, hôpitaux) qui veulent emprunter sur les marchés doivent payer leur notation. En mai 2023, suite à la dégradation de la note de la France, douze collectivités ont vu leur note abaissée à AA−, ce qui a mécaniquement renchéri leur accès au crédit.

Du côté des entreprises, les demandes de notation sont en forte croissance : +20 % en dix ans. C’est un marché très lucratif pour les agences. Officiellement, elles restent discrètes sur les tarifs. Mais selon plusieurs sources, il faut compter plusieurs dizaines de milliers d’euros pour une PME, et jusqu’à un million d’euros pour une banque ou un grand groupe d’assurance.

Quant aux notations complexes de produits financiers structurés (comme les fameux subprimes), elles ont connu leur heure de gloire avant 2008… mais ce segment s’est largement effondré depuis.

Un modèle miné par les conflits d’intérêts

Payer pour être noté, c’est aussi créer une zone grise dans laquelle les conflits d’intérêts sont monnaie courante. Les agences peuvent être tentées de gonfler les notes pour conserver leurs clients, sous peine de les voir partir chez un concurrent plus souple.

Lors de la crise de 2008, un échange de mails internes chez Standard & Poor’s a révélé cette logique à l’œuvre. Une responsable évoquait l’idée d’assouplir les critères de notation pour ne pas perdre de clients. Aujourd’hui, les agences affirment qu’il existe une séparation stricte entre leurs équipes commerciales et leurs analystes. Mais la suspicion reste forte.

L’Union européenne n’a commencé à encadrer sérieusement ces pratiques qu’après 2009. Désormais, les agences doivent être accréditées par l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), qui peut mener des enquêtes, voire retirer l’agrément en cas de manquement grave.

Des sanctions sont déjà tombées. En 2019, Fitch a écopé de plus de 5 millions d’euros d’amende pour avoir noté le groupe Casino alors que son propriétaire, M. Ladreit de Lacharrière, siégeait encore au conseil d’administration de ce même groupe. En 2021, c’est Moody’s qui a été condamnée à 3,7 millions d’euros d’amende pour avoir noté des entreprises dans lesquelles son actionnaire principal, Berkshire Hathaway, détenait des parts.

Une influence mal encadrée, mais toujours massive

Les agences de notation ne décident pas à proprement parler de la santé d’une économie, mais elles influencent très directement la manière dont les marchés perçoivent cette santé. Leurs notes peuvent faire ou défaire la crédibilité financière d’un État ou d’un géant du CAC 40. Et même si des garde-fous ont été mis en place, elles continuent d’échapper à une régulation efficace.

Pour les particuliers, cette mécanique reste invisible. Mais elle pèse lourd dans la fixation des taux d’intérêt, dans les choix d’investissement, et in fine, dans les politiques d’austérité imposées aux États. Comprendre leur fonctionnement, c’est aussi comprendre pourquoi, parfois, des choix politiques sont dictés par les trois lettres apposées par une entreprise privée new-yorkaise.

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