Fraude aux dividendes : Crédit Agricole accepte de payer une amende record dans l’affaire du cum-cum

Le Crédit Agricole vient d’entrer dans l’histoire bancaire française, mais pas pour une réussite commerciale. La banque a conclu un accord avec la justice afin de solder son implication dans le vaste scandale fiscal des « cum-cum », une technique d’optimisation agressive utilisée pour éviter l’impôt sur les dividendes d’actions françaises.

Sa filiale de banque de financement et d’investissement, Crédit Agricole CIB (Cacib), a accepté de régler une amende de 88,24 millions d’euros. Cette sanction fait suite à des accusations de blanchiment aggravé et de fraude fiscale aggravée. L’accord, signé avec le parquet national financier (PNF) dans le cadre d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), a été validé par le tribunal judiciaire de Paris. En pratique, il met fin aux poursuites pénales engagées contre l’établissement.

Qu’est-ce que le cum-cum et pourquoi est-il illégal en France

Le mécanisme dit du cum-cum repose sur une idée simple mais redoutablement efficace pour les investisseurs étrangers : transférer temporairement la propriété de leurs actions à une banque française, juste avant le versement des dividendes. L’établissement bancaire, étant domicilié en France, perçoit les dividendes sans avoir à subir la retenue à la source appliquée aux non-résidents. Une fois le dividende encaissé, les titres sont restitués au véritable propriétaire étranger.

Le gain fiscal est ensuite partagé entre l’investisseur et la banque, dans une logique dite « gagnant-gagnant ». Si les banques présentaient cette pratique comme un service d’optimisation fiscale, les autorités judiciaires et fiscales la qualifient désormais de fraude. Car il ne s’agit pas simplement d’un jeu d’écriture : c’est une façon d’échapper artificiellement à l’impôt en exploitant une faille juridique.

Crédit Agricole, première banque française à transiger

Après 4 années d’enquête, le Crédit Agricole devient la première grande banque française à solder ce dossier. Le scandale des cum-cum a été révélé en 2018 par un consortium de médias internationaux, dont Le Monde. Dès 2021, le PNF a lancé des investigations visant Cacib et cinq autres établissements : BNP Paribas, Exane (filiale de BNP), Société générale, Natixis et HSBC. En mars 2023, plus de 150 enquêteurs et 16 magistrats du parquet financier ont mené des perquisitions spectaculaires dans ces banques.

Les soupçons portaient sur du blanchiment aggravé de fraude fiscale et sur une fraude fiscale aggravée, des délits passibles de lourdes sanctions. Les autres établissements sont toujours sous la pression de la justice.

Des profits énormes pour les banques, une perte sèche pour le fisc

Entre 2013 et 2021, les traders de Crédit agricole CIB ont réalisé environ 2 500 opérations de ce type, générant près de 50 millions d’euros de bénéfices. Cette somme a servi de base de calcul à l’amende de 88 millions, puisque le droit français permet de tripler le montant de l’avantage tiré d’une fraude.

Avant même la signature de la CJIP, la banque avait déjà versé 46 millions d’euros au fisc au titre d’arriérés d’impôts et de pénalités. Elle affirme avoir depuis mené une vaste opération interne : audits, suspension des prêts-emprunts de titres suspects, contrôles renforcés, et mise en place de vérifications hebdomadaires.

Son directeur juridique, Bruno Fontaine, a insisté devant les juges sur cette volonté de redressement. L’avocat du groupe, Jean-Pierre Picca, est même allé jusqu’à déclarer que Crédit agricole aurait été « la seule banque à avoir été transparente avec le fisc ». Une affirmation qui semble surtout viser à se démarquer de ses concurrentes, toujours dans le viseur de la justice.

Un système massif estimé à 4,5 milliards d’euros en France

Le parquet national financier rappelle que le Crédit agricole n’était qu’un acteur secondaire dans un dispositif beaucoup plus vaste. Selon l’administration fiscale, ce système aurait coûté environ 4,5 milliards d’euros au Trésor public.

En 2025, la France a inscrit dans la loi de finances une disposition obligeant la retenue à la source à s’appliquer non plus au simple détenteur temporaire d’actions, mais aux « bénéficiaires effectifs ». Cette mesure vise à couper court aux cum-cum. Mais Bercy avait initialement introduit des exceptions, déclenchant un tollé à l’Assemblée nationale. Face aux critiques dénonçant une capitulation devant le lobby bancaire, le gouvernement a dû faire machine arrière et republier un texte plus strict.

Le ministre de l’Économie, Éric Lombard, a rappelé que la lutte contre la fraude fiscale avait rapporté plus de 10 milliards d’euros en 2024. Un chiffre destiné à montrer que l’État peut engranger des sommes considérables en fermant les failles utilisées par les grandes banques.

Le cum-cum, une fraude qui dépasse les frontières françaises

La France n’est pas isolée dans ce scandale. L’Allemagne a été la première à lancer des poursuites massives dans ce domaine, suivie par d’autres pays européens. Les enquêtes transnationales mettent en lumière l’ampleur d’un mécanisme qui a prospéré à l’abri des regards pendant des années.

Ce qu’il faut retenir pour les épargnants français

Cette affaire illustre une réalité dérangeante : alors que les particuliers français voient leurs revenus scrutés et taxés jusqu’au centime près, certaines grandes banques ont pu, en toute opacité, aider leurs clients étrangers à contourner l’impôt. Le Crédit agricole, en acceptant cette amende de 88 millions d’euros, se présente comme coopératif. Mais la réalité, c’est que cette sanction ne représente qu’une fraction des montants en jeu.

La morale est simple : en matière de fraude fiscale, les établissements financiers savent jouer avec les zones grises. Tant que la réglementation ne ferme pas explicitement toutes les brèches, les banques continueront d’inventer de nouveaux montages. Pour l’État comme pour les contribuables français, cela signifie que les pertes fiscales engendrées par ces pratiques se traduisent mécaniquement par plus d’impôts ailleurs.

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