Crédit immobilier : bientôt des changements de règles ?  CBI: Crédit, Banques et Investissements

Crédit immobilier : bientôt des changements de règles ?

Le crédit immobilier français entre dans une zone de turbulences. La Banque Centrale Européenne pousse pour uniformiser les règles d’octroi des prêts immobiliers dans toute l’Union Européenne, et les banques françaises redoutent déjà la facture. Derrière cette volonté d’harmonisation, c’est tout un modèle national, patiemment construit autour de la capacité de remboursement des ménages, qui se retrouve menacé.

Les banques, qui adorent les contraintes permettant de vendre plus cher, aiment moins celles qui les obligent à revoir leur façon de prêter.

La BCE cible le modèle français du crédit : un changement qui ferait grimper les coûts

Depuis plusieurs mois, la BCE encourage un basculement vers la méthode du « loan to value » (LTV), c’est-à-dire un prêt accordé uniquement en fonction de la valeur du bien financé. Autrement dit, moins la banque se soucie du revenu de l’emprunteur, plus elle accorde une importance mécanique au bien immobilier en garantie.

Ce modèle, courant dans une grande partie de l’Europe, n’est pas celui de la France.

En France, c’est le règne du « loan to income » (LTI) et la capacité réelle des ménages à rembourser qui structurent le marché depuis des décennies (Voir « comment décrocher un bon prêt immobilier ?« ). Un modèle éprouvé, qui a protégé les emprunteurs comme les banques lors des crises précédentes. Mais cela n’empêche pas le superviseur européen d’y voir une anomalie à corriger.

Les banques françaises, elles, voient arriver un déluge de contraintes : coûts supplémentaires pour évaluer les biens, délais accrus, exigence renforcée en fonds propres, et au bout de la chaîne une réduction de leur capacité à financer le marché immobilier.

Les dirigeants bancaires voudraient sauver le « modèle français »

Face à cette offensive réglementaire, plusieurs responsables bancaires tentent de peser dans le débat. Ils rappellent que le marché français fonctionne, qu’il est stable, et que les défauts de paiement y restent historiquement faibles.

Le président du Crédit Mutuel Arkéa, pense que : le modèle français — taux fixes, sûreté hypothécaire, évaluation prudente — a fait ses preuves. Il s’interroge sur la nécessité d’un alignement européen qui viendrait affaiblir un système solide pour le rapprocher de modèles étrangers parfois moins performants.

Les fédérations bancaires répètent le même message : la France a un modèle efficace, et l’abandonner au nom d’une harmonisation n’aurait pas de sens. Une position partagée par plusieurs dirigeants mutualistes, qui rappellent que les banques françaises ont déjà absorbé des coûts réglementaires importants ces dernières années.

Ce que la BCE veut vraiment : un contrôle accru et une convergence progressive

Du côté du superviseur, le discours est clair : l’objectif n’est pas de supprimer la prise en compte du revenu des ménages, mais d’introduire davantage de cohérence et de comparabilité entre les pays de la zone euro. Autrement dit, pousser progressivement le marché français vers un système plus centré sur la valeur du bien, quitte à perturber des décennies de pratiques nationales.

Depuis l’entrée en vigueur des nouvelles règles de Bâle 3 en Europe, début 2025, les banques doivent déjà systématiquement évaluer les biens immobiliers au moment de l’octroi du crédit. Certaines doivent même répéter cet exercice à intervalles réguliers, un point que les établissements jugent irréaliste en période de marché figé.

Une dirigeante bancaire le reconnaît : la BCE se montre plus exigeante, et cette posture ne fait que commencer.

Les banques redoutent un marché plus instable… et moins rentable

L’obligation d’évaluer systématiquement les biens, puis de réviser régulièrement leur valeur, inquiète particulièrement les établissements français. Dans un marché où les transactions se contractent et où les prix stagnent, cette mécanique peut provoquer l’effet inverse de celui recherché : une rigidité accrue du crédit, une baisse du nombre de prêts accordés, et une exposition plus importante à la volatilité.

Plusieurs cadres soulignent le risque d’une vision trop théorique du marché : évaluer un bien dans un contexte où les transactions se raréfient revient souvent à deviner sa valeur réelle.

À cela s’ajoute un autre enjeu : l’immobilier représente plus de 60 % de l’exposition totale des banques françaises. Toute modification des règles prudentielles a donc un impact direct sur leurs bilans et leurs fonds propres.

Un paradoxe : les banques doivent prêter moins, tout en cherchant à séduire les jeunes emprunteurs

Avec les nouvelles normes de Bâle, la charge en capital des prêts immobiliers augmente au moment même où les établissements cherchent désespérément à conquérir de nouveaux clients, notamment les plus jeunes. C’est l’un des principaux leviers commerciaux du secteur, et l’un des rares produits encore perçus comme fiables par les particuliers.

En restreignant davantage l’accès au crédit, la BCE complique la stratégie commerciale des banques françaises. Car un marché immobilier bloqué signifie aussi une décennie de jeunes ménages mis à l’écart, et donc une perte sèche de clients sur le long terme.

Un bras de fer loin d’être terminé

Le débat entre Paris et Francfort est loin d’être clos. La BCE veut une zone euro alignée, lisible et contrôlable ; les banques françaises veulent préserver un modèle qu’elles jugent plus protecteur et moins risqué. Une confrontation classique entre technocratie européenne et réalité économique du terrain.

Mais une chose est certaine : si les nouvelles règles se durcissent encore, le crédit immobilier français risque de devenir plus rare, plus lent, et plus coûteux. Et comme toujours, ce ne seront ni les banques ni le superviseur qui en paieront directement le prix, mais les ménages.

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