Annoncée à l’automne 2025 par décret présidentiel, la nouvelle politique monétaire américaine ne relève pas d’un simple ajustement technique. Avec l’entrée en vigueur de la « Gold Card », les États-Unis assument une vision très offensive de la finance internationale. Ce visa accéléré, réservé aux étrangers considérés comme à « forte valeur économique », s’obtient contre un versement direct d’un million de dollars au Trésor américain. Le message est limpide : le dollar reste l’axe central du système, et tout est mis en œuvre pour renforcer son attractivité.
Derrière cette mesure symbolique se cache une ambition plus large. Washington ne se contente plus de défendre le dollar par la diplomatie ou le commerce. L’administration américaine a choisi le levier numérique, et plus précisément celui des stablecoins (voir Stablecoins : fonctionnement, intérêt, réglementation et risques ) , pour prolonger l’hégémonie de sa monnaie à l’échelle mondiale.
Les stablecoins sont des actifs numériques dont la valeur est indexée sur une monnaie de référence, le plus souvent le dollar, parfois l’euro. Contrairement au bitcoin ou à d’autres cryptomonnaies très volatiles, ils visent la stabilité. Cette caractéristique leur permet de remplir les 3 fonctions classiques d’une monnaie : unité de compte, réserve de valeur et moyen de paiement.
Dans les faits, un stablecoin en dollars fonctionne comme un substitut numérique du billet vert. Il peut être utilisé pour payer, transférer de l’argent ou stocker de la valeur, sans passer par les circuits bancaires traditionnels. Cette simplicité explique leur succès croissant auprès des particuliers, des entreprises et des plateformes financières.
Le choix américain n’a rien d’idéologique. Il est pragmatique et financier. Les autorités partent d’un constat simple : il y a aujourd’hui davantage de personnes équipées d’un téléphone portable que de personnes disposant d’un compte bancaire. Selon les données de la Banque mondiale, près de 86 % des adultes possèdent un mobile, contre environ 79 % ayant accès à un compte bancaire. Dans de nombreux pays émergents, notamment en Afrique subsaharienne, en Inde ou au Brésil, les paiements passent déjà majoritairement par des opérateurs télécoms ou des solutions mobiles.
Dans ce contexte, les stablecoins apparaissent comme un outil redoutablement efficace pour diffuser le dollar là où le système bancaire classique ne va pas, ou va mal. Pour les États-Unis, chaque stablecoin indexé sur le dollar revient à créer une demande supplémentaire pour la dette américaine, puisque ces jetons sont adossés à des réserves libellées en bons du Trésor.
Les responsables américains ne s’en cachent pas. Les stablecoins sont vus comme un moyen de financer la dette publique à moindre coût, en attirant l’épargne mondiale vers les obligations américaines. Les projections évoquent plusieurs milliers de milliards de dollars de bons du Trésor qui pourraient, d’ici la prochaine décennie, être détenus indirectement via des stablecoins.
Autrement dit, l’utilisateur qui détient un stablecoin en dollars contribue, sans toujours en avoir conscience, au financement de l’État fédéral américain. C’est une privatisation partielle de la diffusion monétaire, mais avec un bénéfice macroéconomique assumé pour Washington.
Pour accélérer cette dynamique, les États-Unis ont mis en place un cadre juridique spécifique avec le Genius Act, texte de référence sur les stablecoins. Ce dispositif réserve l’émission de ces actifs numériques à des opérateurs privés, sous supervision, mais exclut explicitement la banque centrale américaine de toute émission directe de dollar numérique.
La Réserve fédérale s’est même vu interdire toute création, circulation ou utilisation d’un dollar numérique public. Le choix est clair : laisser le secteur privé innover, investir et diffuser la monnaie, tout en conservant le dollar comme référence absolue.
Aujourd’hui, le marché est largement dominé par des acteurs comme Tether ou Circle, mais les banques, les géants de la distribution et les grandes entreprises technologiques se positionnent déjà. L’encours mondial des stablecoins dépasse plusieurs centaines de milliards de dollars, presque exclusivement libellés en devise américaine.
Contrairement à certaines idées reçues, cette stratégie n’est pas une rupture totale avec l’histoire monétaire américaine. Au XIXe siècle, les États-Unis connaissaient déjà une coexistence entre monnaies publiques et billets émis par des banques privées, garantis par des réserves de dette publique. La centralisation autour de la Réserve fédérale n’est intervenue qu’au début du XXe siècle, après des crises bancaires répétées.
Les stablecoins s’inscrivent donc dans une continuité : celle d’un système où l’innovation monétaire vient souvent du secteur privé, sous l’œil intéressé de l’État.
La stratégie européenne est très différente. L’Union européenne a bien adopté un cadre réglementaire avec le règlement MiCA, entré en application progressive depuis 2023. Ce texte encadre les crypto-actifs et les stablecoins, qu’ils soient indexés sur l’euro ou sur une devise étrangère.
Plusieurs projets de stablecoins en euros existent, mais leur développement reste prudent. Les autorités monétaires européennes insistent sur la nécessité de préserver la souveraineté financière et de limiter la dépendance vis-à-vis du dollar. Dans le même temps, certaines banques européennes s’intéressent aux stablecoins en dollars, attirées par la profondeur de ce marché et sa liquidité.
Ce double discours révèle une tension : participer à l’innovation sans renforcer encore la domination monétaire américaine.
À la différence des États-Unis, la Banque centrale européenne travaille activement sur un projet d’euro numérique, avec un horizon de déploiement autour de 2029. Présenté comme un équivalent numérique du cash, ce dispositif viserait à garantir un moyen de paiement public, accessible à tous, sécurisé et indépendant des acteurs privés non européens.
Cependant, ce projet inquiète fortement les banques commerciales. Même avec des plafonds de détention, un euro numérique pourrait détourner une partie des dépôts bancaires classiques, fragilisant leur modèle économique. La concurrence ne viendrait plus seulement des fintechs, mais directement de la banque centrale.
Au-delà des débats techniques, l’enjeu est éminemment politique. Les paiements par carte en Europe dépendent encore largement d’acteurs américains comme Visa et Mastercard, qui prélèvent des commissions et contrôlent une partie des flux. Les stablecoins, avec des transactions quasi instantanées, sécurisées et peu coûteuses, pourraient bouleverser cet équilibre.
La question est donc simple : le dollar numérique privé va-t-il profiter de cette révolution pour renforcer encore son rôle de monnaie de référence mondiale, ou l’Europe parviendra-t-elle à imposer une alternative crédible avec l’euro numérique ?
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le dollar a déjà connu plusieurs mutations majeures. D’abord adossé à l’or dans le cadre des accords de Bretton Woods, il est devenu monnaie flottante au début des années 1970, tout en conservant son statut central. Aujourd’hui, les États-Unis misent sur une nouvelle évolution : le dollar numérique diffusé par des acteurs privés, utilisé partout dans le monde, sans frontières et sans banque centrale visible.
Dans certains pays, cette évolution est déjà concrète. En Amérique latine, les stablecoins en dollars sont utilisés au quotidien et font même l’objet de campagnes publicitaires. Une illustration de plus d’une réalité que les autorités européennes observent avec prudence, pendant que Washington avance sans complexe.
Pour les particuliers français, comprendre cette stratégie est essentiel. Elle éclaire l’évolution des paiements, des placements et, à terme, des équilibres financiers mondiaux qui influencent directement l’épargne, les taux et la stabilité monétaire en Europe.
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