Parmi les techniques d’évitement fiscal les plus efficaces – et les plus discrètes – utilisées par les grandes banques et investisseurs internationaux, le montage dit « CumCum » occupe une place de choix. Derrière ce nom abscons, se cache une opération aussi cynique qu’efficace : contourner l’impôt sur les dividendes en exploitant les failles du système fiscal français. Voici comment cela fonctionne.
En France, lorsqu’un actionnaire perçoit des dividendes d’une entreprise française, il doit en principe s’acquitter d’un prélèvement à la source. Ce prélèvement s’élève à 30 % pour les résidents étrangers, sauf s’ils bénéficient d’une convention fiscale bilatérale plus avantageuse.
Mais ce système repose sur un postulat fragile : que les actions soient détenues au moment du versement par ceux qui doivent effectivement payer l’impôt. C’est précisément là qu’intervient le montage CumCum.
Le montage CumCum consiste pour un investisseur étranger à prêter temporairement ses actions à une banque ou à un investisseur domicilié en France (ou dans un pays avec une convention fiscale « sympathique ») juste avant la date de détachement du dividende. Pendant que les titres sont aux mains de ce résident fiscal français, les dividendes sont versés sans retenue à la source. Ensuite, les actions sont rendues à leur propriétaire initial, souvent accompagnées d’un ajustement financier pour compenser la fiscalité évitée.
Le résultat ? L’investisseur étranger reçoit l’équivalent du dividende… sans avoir à payer l’impôt normalement dû à l’État français. Et tout cela en parfaite légalité apparente.
Le CumCum est un outil utilisé par les investisseurs institutionnels étrangers : fonds de pension, compagnies d’assurance, hedge funds… Mais ce sont surtout les grandes banques françaises qui ont servi d’intermédiaires dans ces opérations, en organisant les prêts de titres à grande échelle pour le compte de leurs clients non-résidents.
Certaines banques en ont même fait un produit structuré, proposé à leurs clients fortunés comme un moyen d’optimiser leur fiscalité sur les marchés européens.
Difficile à chiffrer avec précision, le manque à gagner lié aux opérations CumCum se chiffre en milliards d’euros. En 2017, une enquête parlementaire allemande a révélé que le coût cumulé des montages CumCum et CumEx atteignait plus de 55 milliards d’euros pour plusieurs États européens. En France, selon des estimations officieuses, le fisc perdrait chaque année entre 300 et 500 millions d’euros à cause du CumCum.
Un trou fiscal discret, invisible du grand public, mais parfaitement connu des milieux financiers et des autorités.
Le montage CumCum n’est pas illégal en soi. Il repose sur une lecture rigoureuse, mais opportuniste, du droit fiscal. Il profite des décalages entre les juridictions fiscales, des délais dans la perception de l’impôt, et de l’opacité des marchés financiers.
Mais cette pratique soulève des questions éthiques majeures : pourquoi les petits épargnants ou les entrepreneurs français doivent-ils payer leurs impôts plein pot, pendant que les grands investisseurs échappent à la fiscalité via des montages sophistiqués orchestrés depuis Londres, Genève ou le Luxembourg ?
Si le CumCum permet d’éviter légalement l’impôt, le CumEx va un cran plus loin : il s’agit d’un montage frauduleux qui permet de se faire rembourser plusieurs fois un impôt qui n’a été payé qu’une seule fois, voire pas du tout. Cela repose sur des échanges ultra-rapides d’actions entre plusieurs entités autour de la date de versement du dividende, créant une confusion volontaire dans les registres fiscaux.
Autrement dit, le CumEx est une fraude. Le CumCum, lui, est un abus de droit soigneusement ficelé.
En 2025, le Parlement avait pourtant tenté de reprendre la main. À l’unanimité, les sénateurs avaient fait adopter une disposition visant à neutraliser les montages CumCum. Mais ce mécanisme, pourtant voté par la représentation nationale, a été vidé de sa portée par un texte d’application rédigé par Bercy en avril.
Selon le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, Jean-François Husson (LR), le contenu de ce texte est « absolument effarant ». Il ouvre « une brèche dans laquelle les banques peuvent s’engouffrer pour continuer à frauder l’impôt ». Malgré deux avertissements formels adressés au gouvernement, les demandes de la commission sont restées lettre morte.
Pis encore, 2 directions de Bercy elles-mêmes — la législation fiscale et les finances publiques — avaient recommandé en mars de ne pas accéder aux sollicitations de la Fédération bancaire française (FBF), qui exigeait une exclusion d’application de l’impôt. Ces services mettaient en garde contre un « risque polémique sévère », jugé pourtant négligeable par l’exécutif.
Selon Jean-François Husson, c’est bel et bien la FBF qui a dicté les exceptions introduites dans le texte du 17 avril. Il dénonce une ingérence manifeste dans le processus législatif : « Qui protège la délinquance en col blanc ? Car il s’agit de délinquance, même si elle présente bien ! » Selon lui, certaines banques ont continué à profiter du montage en toute impunité, malgré les alertes et les redressements fiscaux en cours.
L’opacité n’est pas nouvelle. En 2018 déjà, le Sénat avait tenté de légiférer sur le sujet, mais l’Assemblée avait vidé le dispositif de toute portée. En 2023, cinq grandes banques — dont BNP Paribas, Société générale, Natixis, Exane et HSBC — ont été perquisitionnées par le Parquet national financier. Et le Crédit Agricole a accepté un redressement.
La FBF, elle, continue de nier l’existence d’un phénomène frauduleux. Mais les faits contredisent son discours. En juin 2025, les services fiscaux ont confirmé que plus de 4,5 milliards d’euros de redressements sont en cours, soit presque le double du chiffre avancé deux ans plus tôt.
Même si vous n’avez pas d’actions en Bourse, le montage CumCum vous concerne. Chaque euro qui échappe à l’impôt via ces stratégies, c’est un euro que l’État compensera autrement : plus de taxes pour les ménages, moins de services publics, ou plus de dette à rembourser.
Jean-François Husson résume la situation avec une lucidité glaçante : « Comment d’un côté, demander 40 milliards d’euros aux citoyens français, et laisser de l’autre perdurer la fraude opérée par les banques ? »
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