La finance mondiale repose sur un équilibre fragile : celui entre le risque que prennent les banques en prêtant et les réserves qu’elles détiennent pour se protéger. Cet équilibre, dicté depuis plus de 30 ans par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, a évolué au fil du temps à travers plusieurs accords internationaux.
Après Bâle I en 1988, puis Bâle II en 2004 (appliqué à partir de 2008), les règles ont profondément transformé la manière dont les banques gèrent les risques. Mais cette réforme, saluée pour sa sophistication, s’est aussi révélée incapable de prévenir la crise financière mondiale. Voir l’après Bâle II avec Bâle III .
À la fin des années 1990, les régulateurs s’accordent sur un constat : les règles de Bâle I sont trop simplistes. Le premier ratio, dit Cooke, imposait aux banques de disposer de fonds propres équivalents à 8 % de leurs engagements pondérés par le risque. En théorie, cela devait garantir que chaque prêt consenti soit couvert par une réserve suffisante.
En pratique, le système montrait deux failles majeures :
Face à cette réalité, le Comité de Bâle élabore une réforme ambitieuse : Bâle II, destinée à mieux mesurer les risques, à renforcer la surveillance et à imposer plus de transparence.
Le cœur de Bâle II repose sur un nouveau ratio, appelé ratio McDonough. Il conserve l’exigence minimale de 8 % de fonds propres, mais en élargissant le calcul à trois types de risque :
Le ratio McDonough :
Fonds propres / (actifs pondérés du risque de crédit + risque de marché + risque opérationnel) ≥ 8 %
Les fonds propres sont divisés en trois catégories :
L’idée est simple : plus une banque prend de risques, plus elle doit détenir de capital pour encaisser les pertes potentielles.
Mais cette sophistication a un revers. Bâle II permet aux grandes banques de construire leurs propres modèles internes de calcul des risques (plutôt que d’utiliser un modèle standard imposé par le régulateur). Résultat : chaque établissement évalue lui-même la dangerosité de ses actifs.
Les lobbys bancaires ont largement soutenu cette approche, jugée plus « flexible ». En réalité, elle a ouvert la porte à des manipulations : sous-estimation volontaire des risques, modèles opaques, et bilans artificiellement rassurants.
Le deuxième pilier de Bâle II instaure un dialogue entre les régulateurs (banques centrales, autorités de contrôle) et les établissements financiers. Chaque banque doit mettre en place un processus interne appelé ICAAP (Internal Capital Adequacy Assessment Process), qui évalue ses besoins réels en capital en fonction de ses risques spécifiques.
Les superviseurs peuvent ensuite exiger un renforcement des fonds propres si l’analyse leur paraît insuffisante. Ils disposent d’un pouvoir discrétionnaire pour imposer un niveau plus élevé que le minimum réglementaire.
Sur le papier, c’est un progrès. Dans les faits, le système a reposé sur la bonne volonté des banques et sur la capacité des régulateurs à comprendre des modèles complexes. Or, ces modèles nécessitaient des ressources considérables et une expertise rare. Beaucoup d’autorités nationales, comme la Banque de France, n’avaient pas les moyens humains ni techniques pour les contrôler efficacement.
Le troisième pilier de Bâle II vise à renforcer la discipline de marché. Les banques doivent publier des informations détaillées sur leurs risques, leurs méthodes de calcul et leurs niveaux de fonds propres.
L’objectif : permettre aux investisseurs, analystes et citoyens de juger par eux-mêmes la solidité d’un établissement.
Mais ici encore, la mise en œuvre s’est heurtée à la complexité. Les rapports publiés par les grandes banques sont devenus de véritables labyrinthes techniques, illisibles pour le grand public. Cette « transparence » a vite pris des airs de camouflage comptable.
Ironie de l’histoire : au moment où Bâle II entre réellement en application, la crise des subprimes éclate. Le nouveau cadre, censé renforcer la solidité du système, montre ses limites dès les premiers chocs.
Plusieurs failles majeures apparaissent :
En clair, le système s’est effondré sous le poids de sa propre sophistication.
Bâle II n’est pas un sujet réservé aux financiers. Ses règles ont eu, et ont encore, un impact direct sur le quotidien des particuliers et des entreprises.
C’est à partir de ces normes que les banques déterminent le prix du crédit, le niveau de garantie exigé, ou la quantité de prêts qu’elles peuvent accorder.
Quand la réglementation se durcit (comme après la crise avec Bâle III), les banques doivent immobiliser plus de capital. Pour préserver leur rentabilité, elles augmentent les marges, limitent l’accès au crédit ou privilégient les clients les plus solvables.
Inversement, quand les règles sont trop souples, elles prennent plus de risques… jusqu’à ce que le système se retourne, comme en 2008.
Pour les particuliers, cela signifie :
En d’autres termes, la régulation bancaire façonne directement l’accès à l’argent et la stabilité du système financier dont chacun dépend.
Malgré ses failles, Bâle II a posé les bases de la régulation moderne. Son approche par les risques, la séparation entre les différents types de fonds propres et la prise en compte du risque opérationnel ont ouvert la voie à Bâle III, adopté en 2010.
Cette nouvelle réforme, bien plus stricte, impose aux banques des coussins de sécurité plus importants et limite l’usage des modèles internes.
Mais le message reste le même : plus de prudence coûte plus cher. Et ce coût, ce ne sont pas les établissements financiers qui le paient, mais bien les entreprises et les ménages, à travers des taux plus élevés et des conditions de crédit plus exigeantes.
Bâle II illustre la difficulté de réguler un secteur qui produit lui-même ses propres outils de mesure du risque. Né d’une volonté de moderniser la finance, l’accord a finalement montré que la complexité n’est pas synonyme de sécurité.
Il a aussi rappelé une vérité simple : chaque règle imposée aux banques finit, d’une manière ou d’une autre, par se répercuter sur les clients.
En comprenant Bâle II, on comprend mieux pourquoi nos prêts, nos taux d’intérêt et la stabilité de notre épargne dépendent de décisions prises à Bâle, à des milliers de kilomètres, mais dont les effets se font sentir jusque sur nos relevés de compte.
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